La Libération voit la réintégration des professeurs exclus par le régime de Vichy et des procédures d’épuration contre ceux qui sont accusés de collaboration ou d’attitudes anti-patriotiques. Deux professeurs sont mis à la retraite, trois autres font l’objet d’enquêtes qui se concluent par un blâme ou l’absence de sanction de la part du ministre de l’Éducation nationale. Les instructions contre les anciens ministres Joseph Barthélémy et Georges Ripert se concluent par la mort du premier et un non-lieu pour le second. L’hommage rendu aux résistants en 1945, et le travail pour identifier les victimes inscrites sur le monument aux morts de la guerre érigé en 1951, occultent les persécutions antisémites.
« Ordonnance du 4 juillet 1943 concernant la réintégration des magistrats, fonctionnaires et agents civils et militaires révoqués, mis à la retraite d’ffice, licenciés ou rétrogradés », Journal officiel de la République française, 75e année, no 165, 10 juillet 1943
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Cette ordonnance du 4 juillet 1943 de la France libre, signée par le général de Gaulle à Alger, organise la réintégration des fonctionnaires victimes de Vichy. L’article 8 stipule explicitement : « Les magistrats, fonctionnaires et agents civils et militaires relevés de leurs fonctions pour motif d’ordre racial […] bénéficieront de l’ensemble des dispositions ». Publiée au Journal officiel de la France combattante, cette ordonnance constitue le premier cadre juridique de la réparation républicaine, plus d’un an avant la Libération.
« Ordonnance du 4 juillet 1943 concernant la réintégration des magistrats, fonctionnaires et agents civils et militaires révoqués, mis à la retraite d’ffice, licenciés ou rétrogradés », Journal officiel de la République française, 75e année, no 165, 10 juillet 1943 (fin)
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
« Ordonnance du 27 janvier 1944 complétant et modifiant l’ordonnance du 4 juillet 1943, modifiée par l’ordonnance du 5 août 1943, concernant la réintégration des magistrats, fonctionnaires et agents civils et militaires révoqués, mis à la retraite d’office, licenciés ou rétrogradés », Journal officiel de la République française, 76e année, no 26, 3 février 1944
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Cette ordonnance complète celle précédente de juillet 1943.
« Ordonnance du 29 novembre 1944 concernant la réintégration des magistrats, fonctionnaires et agents civils et militaires révoqués, mis à la retraite d’office, licenciés ou rétrogradés », Journal officiel de la République française, 76e année, no 139, 2 décembre 1944
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Le gouvernement provisoire de la République française promulgue cette ordonnance portant réintégration des fonctionnaires victimes des lois raciales de Vichy. Ce texte complète l’ordonnance du 9 août 1944 sur le rétablissement de la légalité républicaine en précisant notamment les modalités de réparation des préjudices subis. Il encadre la réintégration de milliers de fonctionnaires juifs exclus sous Vichy.
« Ordonnance du 29 novembre 1944 concernant la réintégration des magistrats, fonctionnaires et agents civils et militaires révoqués, mis à la retraite d’office, licenciés ou rétrogradés », Journal officiel de la République française, 76e année, no 139, 2 décembre 1944 (suite)
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
« Ordonnance du 29 novembre 1944 concernant la réintégration des magistrats, fonctionnaires et agents civils et militaires révoqués, mis à la retraite d’office, licenciés ou rétrogradés », Journal officiel de la République française, 76e année, no 139, 2 décembre 1944 (fin)
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
« Enseignement supérieur », Journal officiel de la République française, 76e année, no 118, 6 novembre 1944
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Dès l’automne 1944, les cinq professeurs juifs exclus de la faculté de droit de Paris sont tous réintégrés rétroactivement. C’est le cas de René Cassin, Albert Aftalion et Roger Picard par cet arrêté du 4 octobre.
« [Arrêté de congés de R. Picard] », Académie de Paris. Personnel scientifique et administratif des facultés et des lycées de garçons et de filles, de l’enseignement professionnel, de l’enseignement primaire supérieur, 1870-1940, 1er mars 1945
Source Archives nationales, AJ/16/6119
Comme le montre le document précédent, l’arrêté du 4 octobre réintègre officiellement les professeurs juifs exclus sous Vichy, dont Roger Picard. Pourtant, ce dernier ne revient jamais enseigner à Paris : installé aux États-Unis depuis son exclusion, il demande des congés successifs jusqu’à sa retraite en 1948.
« [Arrêté de maintien de M. Aftalion jusqu’à l’été 1946 au plus tard] », Académie de Paris. Papiers de l’administration académique concernant les enseignements supérieur, secondaire et primaire, XIXe siècle, 14 juin 1945
Source Archives nationales, AJ/16/932/A
Albert Aftalion est aussi officiellement réintégré par l’arrêté du 4 octobre. Mais rattrapé par l’âge de la retraite, s’il obtient un délai pour reprendre son enseignement, c’est uniquement jusqu’à la fin de l’année 1945‑1946.
« [Cérémonie d’hommage à William Oualid après la guerre : discours du représentant de la faculté de droit] », coll. Valluis-Oualid, S.D.
Source Mémorial de la Shoah / Coll. Valluis-Oualid.
William Oualid, mort en novembre 1942 de maladie, est réintégré à titre posthume. Une cérémonie d’hommage est organisée après la Libération, au cours de laquelle un représentant de la faculté de droit fait l’éloge de son ancien collègue.
« [Cérémonie d’hommage à William Oualid après la guerre : discours du représentant de la faculté de droit] », coll. Valluis-Oualid, S.D. (fin)
Source Mémorial de la Shoah / Coll. Valluis-Oualid.
« [Arrêté de mise à disposition de René Cassin au ministère de la justice] », Dossiers des fonctionnaires de l’Instruction publique et des Beaux-Arts ayant cessé leurs fonctions entre 1880 à 1968, 20 novembre 1944
Source Archives nationales, F/17/27015
René Cassin est officiellement mis à disposition du ministère de la Justice par cet arrêté et il prend immédiatement après la vice-présidence du Conseil d’État.Ainsi, parmi les cinq professeurs juifs exclus sous Vichy, seul Henri Lévy-Bruhl reprend durablement son enseignement.
« Ordonnance du 27 juin 1944 relative à l’épuration administrative sur le territoire de la France métropolitaine », Journal officiel de la République française, 76e année, no 190, 9 août 1944
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Avant même la Libération, le travail législatif de la France libre se met en œuvre. Le sort des fonctionnaires et agents publics ayant participé au régime de Vichy est une préoccupation importante en vue du rétablissement de la légalité républicaine. Cette ordonnance de juin 1944 prévoit que ces agents vont faire l’objet de sanctions qui peuvent aller d’une simple rétrogradation à la révocation sans pension.
« Ordonnance du 27 juin 1944 relative à l’épuration administrative sur le territoire de la France métropolitaine », Journal officiel de la République française, 76e année, no 190, 9 août 1944 (fin)
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
« Conseils académiques d’enquête et conseil supérieur d’enquête : arrêté du 26 octobre 1944 », Journal officiel de la République française, 76e année, no 166, 4 novembre 1944
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Ce décret concerne la mise en application de l’ordonnance du 27 juin 1944 relative à l’épuration administrative dans l’enseignement. Il prévoit la mise en place de conseils d’enquête dans chaque académie. Ces conseils académiques transmettent alors leurs propositions au conseil supérieur d’enquête, organe du ministère de l’Éducation nationale également chargé de l’instruction directe des cas les plus importants. La décision finale revient au ministre de l’Éducation nationale.
« Conseils académiques d’enquête et conseil supérieur d’enquête : arrêté du 26 octobre 1944 », Journal officiel de la République française, 76e année, no 166, 4 novembre 1944 (fin)
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
« Ordonnance du 18 novembre 1944 instituant une haute cour de justice », Journal officiel de la République française, 76e année, no 128, 19 novembre 1944
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
L’épuration s’accompagne de la mise en place d’institutions extraordinaires. Le volet administratif est assuré par les conseils d’enquête. Sur le plan pénal, la Haute cour de justice est instituée. Présidée par le président de la Cour de cassation, elle a pour mission de juger les hauts fonctionnaires tels que le chef de l’État ou du gouvernement ainsi que les ministres ayant participé au régime de Vichy.
« Ordonnance du 18 novembre 1944 instituant une haute cour de justice », Journal officiel de la République française, 76e année, no 128, 19 novembre 1944 (suite)
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
« Ordonnance du 18 novembre 1944 instituant une haute cour de justice », Journal officiel de la République française, 76e année, no 128, 19 novembre 1944 (fin)
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
« [Vœu émis par la faculté de droit de Paris le 28 août 1944 », Haute cour de justice. Georges Ripert, 28 août 1944
Source Archives nationales, 3W/323
La participation de Georges Ripert au gouvernement de Vichy en 1940 lui vaut d’être arrêté le 26 août 1944, le lendemain de la libération de Paris. Une grande partie des professeurs de la faculté de droit décident alors d’exprimer publiquement leur soutien, au nom de la faculté, par ce vœu. Sa libération immédiate est demandée du fait de sa « haute personnalité », garante, selon les professeurs, du fait que Georges Ripert « ne se soustraira en rien aux lois du pays ».
« [Réponse de Henri Wallon au vœux de la faculté] », Haute cour de justice. Georges Ripert, 31 août 1944
Source Archives nationales, 3W/323
Face à la demande des professeurs de la faculté de droit de Paris, le secrétaire général à l’Éducation nationale Henri Wallon leur répond par la lettre ici présentée. Il s’étonne de leur persistance à qualifier Georges Ripert de « doyen » alors même que celui-ci a fait l’objet d’une suspension de ses fonctions, sanction qu’Henri Wallon a lui-même décidée. Il se montre par ailleurs critique vis-à-vis du choix d’avoir formulé cette demande au nom de la faculté : « Je ne crois pas que vous ayez ainsi rehaussé votre prestige dans l’opinion ni gagné la confiance de la Nation. »
« Joseph Barthélémy ex-Garde des Sceaux de Vichy a été arrêté », Dépêche de Constantine, 16 septembre 1944
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Autre professeur de la faculté de droit faisant l’objet d’une arrestation, Joseph Barthélemy, garde des Sceaux du gouvernement de Vichy de 1941 à 1943, est arrêté le 22 août 1944. Il s’agit sans doute du professeur de la faculté ayant été le plus impliqué dans la participation au pouvoir aux côtés du maréchal Pétain. La Haute cour de justice débute alors l’instruction de son dossier mais ne peut mener la procédure à son terme. Joseph Barthélemy décède en effet d’un cancer en mai 1945, avant d’avoir pu faire l’objet d’un jugement.
« [Arrêté du 8 novembre 1944 portant suspension de fonctions] », Journal officiel de la République française, 76e année, no 119, 10 novembre 1944
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Dans le cadre de l’épuration, les professeurs de droit ayant eu des responsabilités au sein du gouvernement de Vichy sont non seulement arrêtés mais également suspendus de leurs fonctions. C’est ce qu’officialise cet arrêté rétroactif de novembre 1944, actant leur suspension depuis le 20 août. Ce décalage témoigne de l’urgence dans laquelle se trouvaient les autorités de la France libre pour mettre en œuvre l’épuration.
« Audition de Monsieur Gidel, recteur de l’Académie de Paris », Direction de l’administration générale (1892-1964). Dossiers d’épuration, 11 décembre 1944
Gilbert Gidel, décrit dans l’article suivant comme un maréchaliste hostile à la collaboration, est recteur de l’académie de Paris et membre du Conseil national durant la guerre. C’est à ce titre qu’il fait l’objet, dans le cadre de l’épuration, d’une procédure devant le conseil supérieur d’enquête qui est chargé de l’instruction des affaires les plus importantes. Le document présenté est le compte-rendu de son audition. On constate que Gilbert Gidel tente de s’appuyer sur son hostilité à la collaboration pour se disculper, sans mentionner sa proximité avec le maréchal Pétain. C’est ainsi qu’il indique notamment avoir refusé de communiquer aux autorités occupantes la distribution de tracts au sein de la faculté ou encore s’être opposé à la mise en place du STO.
« [Séance du conseil supérieur d’enquête : procédure d’épuration à l’encontre de Gilbert Gidel] », Direction de l’administration générale (1892-1964). Dossiers d’épuration, 18 décembre 1944
La séance par laquelle le conseil supérieur d’enquête donne son avis sur la sanction à appliquer à Gilbert Gidel est présidée par Léon Julliot de La Morandière, doyen de la faculté de droit de Paris à la Libération, qui l’introduit en listant les éléments à charge relevés lors de l’audition. En apparence, tout oppose les deux hommes : c’est à un ancien résistant qu’il revient de statuer sur le cas d’un haut fonctionnaire du régime de Vichy. Pourtant, Julliot de La Morandière n’adopte pas une attitude inquisitrice contre Gilbert Gidel. Il semble, au contraire, excuser la plupart des griefs à son encontre. Il est même celui qui se prononce en faveur de la sanction la plus faible, à savoir la rétrogradation de classe, tandis que la majorité se prononce en faveur de sa mise à la retraite d’office. Il s’agit d’un nouvel exemple de la complexité des relations entre professeurs de la faculté pendant puis au sortir de la guerre, désormais entre anciens résistants et anciens fonctionnaires du régime de Vichy. La décision finale est prise par le ministre de l’Éducation nationale le 21 septembre 1945 : Gilbert Gidel ne reçoit qu’un blâme.
« Proposition sur le cas Henry Laufenburger (Faculté de Droit) », Direction de l’administration générale (1892-1964). Dossiers d’épuration, 8 novembre 1944
Henry Laufenburger fait également l’objet d’une enquête. Simple professeur, son cas est d’abord déféré au conseil académique d’enquête. Il lui est entre autres reproché d’avoir, dans les jours suivant la débâcle militaire française, tenu des propos qui s’apparentaient à de la satisfaction de voir l’Allemagne envahir la France, suggérant notamment de « s’inspirer » de leurs « principes » s’agissant des personnes juives ; ainsi que divers propos collaborationnistes. La sanction alors proposée est la révocation.
Henry Laufenburger fait également l’objet d’une enquête. Simple professeur, son cas est d’abord déféré au Conseil académique d’enquête. Il lui est entre autres reproché d’avoir, dans les jours suivant la débâcle militaire française, tenu des propos qui s’apparentaient à de la satisfaction de voir l’Allemagne envahir la France, suggérant notamment de « s’inspirer » de leurs « principes » s’agissant des personnes juives ; ainsi que divers propos collaborationnistes. La sanction alors proposée est la révocation.
Gabriel Le Bras, « Rapport sur le cas de M. Laufenburger. Conseil supérieur d’enquête du ministère de l’Éducation nationale », Direction de l’administration générale (1892-1964). Dossiers d’épuration, 18 décembre 1944
La seconde étape de l’instruction du dossier de Henry Laufenburger se déroule devant le Conseil supérieur d’enquête. Gabriel Le Bras, l’un de ses collègues, est chargé de la rédaction du rapport pour le CSE. Il se livre à une analyse plus contrastée que ne le proposait le conseil académique d’enquête. Il commence par rappeler les liens de Henry Laufenburger avec l’Allemagne – celui-ci étant alsacien – puis décrit, de façon pour le moins étonnante, sa personnalité, qu’il présente notamment comme étant emprunte d’une « prodigieuse activité » ainsi que de « sincérités contradictoires ». S’agissant de ses activités durant la guerre, Gabriel Le Bras présente un professeur hésitant « entre l’opposition et la collaboration » jusqu’à juillet 1942. Il cite par ailleurs des témoignages de militaires lui attribuant des actions de résistance. Ces éléments conduisent le Conseil supérieur d’enquête à désavouer le conseil académique, qui aurait accordé une trop grande importance aux propos tenus en 1940. Seul un blâme et la transmission de son dossier au ministère de l’Intérieur est alors proposée – une sanction de nature, selon Gabriel Le Bras, à « tempérer l’exubérance » du prévenu. Les arguments invoqués par ce dernier mettent par ailleurs en exergue le caractère potentiellement subjectif et personnel de ces procédures.
René Capitant, « Le ministre de l’éducation nationale à Monsieur le Directeur de l’Enseignement Supérieur », Direction de l’administration générale (1892-1964). Dossiers d’épuration, 24 janvier 1945
Source Archives nationales, F/17/16833
Par cette lettre du ministre de l’Éducation nationale au directeur de l’enseignement supérieur, le ministre fait connaître sa décision à l’égard de Henry Laufenburger. Malgré les recommandations du Conseil supérieur d’enquête, aucune sanction n’est prise à son égard.
« Proposition sur le cas René Maunier (Faculté de Droit) », Direction de l’administration générale (1892-1964). Dossiers d’épuration, 11 octobre 1944
Source Archives nationales, F/17/16847
Ce document et les suivants reviennent sur le cas de René Maunier, nouvel exemple après les cas Gilbert Gidel et Henry Laufenburger. Ces différentes procédures menées à l’encontre des professeurs permettent d’appréhender la diversité des parcours qu’ont eu ces derniers durant la guerre. S’agissant de René Maunier, celui-ci se voit reprocher ses fréquentations avec l’occupant. Le conseil académique d’enquête se prononce alors en faveur d’une sanction de cinq ans de suspension avec demi-traitement, à 15 voix contre 13 demandant sa révocation.
« Proposition sur le cas René Maunier (Faculté de Droit) », Direction de l’administration générale (1892-1964). Dossiers d’épuration, 11 octobre 1944 (fin)
Source Archives nationales, F/17/16847
« [Décision du conseil supérieur d’enquête sur le cas de René Maunier] », Direction de l’administration générale (1892-1964). Dossiers d’épuration, 13 novembre 1944
Source Archives nationales, F/17/16847
Les moyens employés par René Maunier dans sa défense sont pour le moins surprenants. Ce dernier reconnaît bien avoir eu, durant la guerre, des contacts fréquents avec l’occupant, mais il réfute toute portée politique à ces fréquentations et leur attribue un objet purement scientifique. Le Conseil supérieur d’enquête semble considérer crédible sa candeur en approuvant ses arguments, mais dénonce toutefois une « légèreté » et une « inconscience impardonnable ».Contrairement au cas de Henry Laufenburger, le CSE vote cette fois une sanction plus sévère que celle proposée par le conseil académique : la mise à la retraite d’office.
« [Décision du conseil supérieur d’enquête sur le cas de René Maunier] », Direction de l’administration générale (1892-1964). Dossiers d’épuration, 13 novembre 1944 (fin)
Source Archives nationales, F/17/16847
« Arrêté portant mise à la retraite d’office », Direction de l’administration générale (1892-1964). Dossiers d’épuration, 23 novembre 1944
Source Archives nationales, F/17/16847
La proposition du Conseil supérieur d’enquête est suivie par le ministre de l’Éducation nationale, qui décide de la mise à la retraite d’office de René Maunier. Si plusieurs sont inquiétés, il s’agit de l’un des seuls professeurs de la faculté de droit à se voir sanctionner pour des faits de collaboration.
« [Commission rogatoire pour enquêter sur Georges Ripert] », Haute cour de justice. Georges Ripert, 22 juin 1945
Source Archives nationales, 3W/323
L’instruction du dossier de Georges Ripert est un cas particulier parmi les professeurs de la faculté : il est en effet le seul à avoir son dossier instruit par la Haute cour de justice. Georges Ripert est jugé à la fois pour ses fonctions exercées en tant que secrétaire d’état à Vichy, mais également pour ses fonctions de doyen de la faculté de droit. Ce document détaille le déroulement de l’instruction de son dossier.
« [Audition de Georges Lecomte dans l’affaire contre Georges Ripert] », Haute cour de justice. Georges Ripert, 30 janvier 1945
Dans le cadre de l’instruction du dossier de Georges Ripert, plusieurs témoignages sont recueillis, étonnamment tous à décharge. Il en va ainsi de celui de Georges Lecomte, ici reproduit. Il y raconte sa rencontre avec Georges Ripert lorsque ce dernier était secrétaire d’État à l’Instruction publique et à la Jeunesse, dans le contexte d’application de la loi portant statut des juifs. Selon Lecomte, le secrétaire d’État n’aurait pas caché sa désapprobation de ladite loi, et aurait partagé ne pas souhaiter l’appliquer à moins d’y être contraint, approuvant ainsi que Lecomte ne dénonce pas une professeure juive. Sans que cet exemple ne puisse être généralisé, un parallèle peut à ce titre être établi avec l’attitude qu’il a envers Roger Picard. En effet, lorsque ce dernier l’informe de son ascendance juive en 1940, Georges Ripert ne transmet pas cette information aux autorités, se contentant d’évoquer des « rumeurs » lorsque la question est évoquée par l’administration en 1942.
« Mémoire en défense pour M. Georges Ripert », Haute cour de justice. Georges Ripert, S.D.
On retrouve dans ce document l’argumentaire déployé par la défense de Georges Ripert. Il est notamment mis en avant que les fonctions exercées par ce dernier n’étaient que « honorifiques », sans réelle effectivité, correspondant davantage à une fonction de « simples secrétaires généraux ». Le prévenu n’aurait, selon ses dires, jamais eu la volonté de jouer un quelconque rôle politique.
« Procès-verbal d’interrogatoire et de confrontation », Haute cour de justice. Georges Ripert, 5 mars 1947
Interrogé par la Haute cour de justice, Georges Ripert est contraint de défendre ses agissements durant la guerre. Il nie toute activité de collaboration et se présente, bien au contraire, comme un résistant. La défense employée dans le document précédent quant à ses fonctions de secrétaire d’État est reprise. Concernant sa mission de doyen de la faculté de droit de Paris, il se portrait en doyen apprécié des étudiants, les ayant protégés de l’ingérence de l’occupant et des réquisitions du STO, y compris lorsqu’il était interrogé par la Gestapo. Georges Ripert évoque également le cas de Jules Basdevant, qu’il dit avoir protégé de toute sanction. Sur ce point, les archives montrent le décalage entre les faits et la version rapportée par Ripert. En effet, le professeur Basdevant fait bien l’objet d’une sanction : il se voit détacher à Lyon à la suite de propos ayant déplu à l’occupant, tenus lors du cours de rentrée de l’année 1941‑1942, et fait ensuite en 1944 l’objet d’une mise à la retraite d’office.
« [Réquisitoire lors du procès contre Georges Ripert] », Haute cour de justice. Georges Ripert, 30 avril 1947
Il existe une similarité troublante entre les arguments employés par Georges Ripert dans sa défense et le réquisitoire du procureur lors de son procès. L’ancien secrétaire d’État de Vichy est présenté comme un simple « technicien » qui aurait tout mis en œuvre pour limiter l’application des lois portant statut des juifs. En tant que doyen, il est présenté comme ayant manifesté « une résistance soutenue » à l’Occupation : sont relevés sa protestation à l’entrée des autorités allemandes dans la faculté ou encore son éloge funèbre aux professeurs juifs Albert Wahl et William Oualid. Le procureur conclut son réquisitoire en énonçant que Georges Ripert a « favorisé la résistance à l’occupant et au gouvernement de Vichy ». Le non-lieu est alors requis.
« Arrêt de non-lieu », Haute cour de justice. Georges Ripert, 2 mai 1947
Source Archives nationales, 3W/324
Près de trois ans après son arrestation et à l’issue d’une procédure par laquelle Georges Ripert n’a presque jamais été confronté directement, exception faite de son interrogatoire reproduit dans la présente galerie, la Haute cour de justice prononce finalement un non-lieu envers le prévenu, au motif que ce dernier aurait exercé des activités de résistance, excusant ainsi sa participation au gouvernement de Vichy. Il est, des suites de ce non-lieu, réintégré à la faculté de droit de Paris et poursuit sa carrière. Il est célébré par des mélanges en 1950, sans qu’il n’y soit fait quelque mention de ses activités durant la guerre.
« Arrêt de non-lieu », Haute cour de justice. Georges Ripert, 2 mai 1947
Source Archives nationales, 3W/324
« Arrêt de non-lieu », Haute cour de justice. Georges Ripert, 2 mai 1947 (fin)
Au sortir de la guerre, la volonté de rendre hommage aux victimes du conflit est bien présente, mais la complexité de la situation politique fait qu’elle est immédiatement identifiée comme un enjeu et un potentiel outil par le gouvernement qui met en place une véritable politique mémorielle. Cette sous-galerie pose le cadre général de cette politique, les hommages rendus par l’académie de Paris et la faculté de droit s’inscrivant dans ce contexte national plus large.
« Ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux actes de décès des militaires et civils morts pour la France », Journal officiel de la République française, 77e année, no 260, 5 novembre 1945
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Cette ordonnance de novembre 1945 modifie les lois du 2 juillet 1915 et du 28 février 1922 qui avaient institué l’inscription « Mort pour la France » sur les actes d’état civil pendant la Première Guerre mondiale. Elle vise à élargir les conditions permettant aux civils d’obtenir cette mention, jusque-là réservée à ceux morts du fait direct de l’ennemi. Désormais, elle peut s’appliquer aux résistants exécutés par des autorités françaises collaboratrices, aux personnes condamnées par des juridictions d’exception instaurées sous Vichy, ainsi qu’aux déportés morts en territoire ennemi ou occupé.
« Ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux actes de décès des militaires et civils morts pour la France », Journal officiel de la République française, 77e année, no 260, 5 novembre 1945 (fin)
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
« [Circulaire pour la commémoration du 11 novembre 1945] », S.D.
Source Archives nationales, AJ/16/7155
La première commémoration de l’Armistice après la Seconde Guerre mondiale, le 11 novembre 1945, est l’occasion de grandes cérémonies, dont l’organisation est soigneusement encadrée par les autorités, comme le montre cette circulaire : le texte insiste particulièrement sur le « caractère d’unité nationale » et même « d’unanimité nationale » que doivent revêtir ces journées, et interdit toute manifestation à connotation politique, quels qu’en soient les partis ou les groupes. Cette volonté s’inscrit dans une stratégie de centralisation et de maîtrise du récit mémoriel, en accord avec la vision gaullienne du régime de Vichy comme parenthèse refermée.
« [Circulaire pour la commémoration du 11 novembre 1945] », S.D. (suite)
Source Archives nationales, AJ/16/7155
« [Circulaire pour la commémoration du 11 novembre 1945] », S.D. (fin)
Source Archives nationales, AJ/16/7155
« Décret no 46-654 du 11 avril 1946 portant dérogation aux dispositions de l’ordonnance du 10 juillet 1816 sur les hommages publics », Journal officiel de la République française, 78e année, no 87, 12 avril 1946
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Ce décret d’avril 1946 instaure une dérogation à l’ordonnance du 10 juillet 1816 relative aux hommages publics. Il établit que les hommages, comme les plaques commémoratives en mémoire des Français morts pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale, doivent désormais être autorisés par un arrêté préfectoral. Cette mesure témoigne une fois encore de la volonté du gouvernement de centraliser la politique mémorielle et de garantir une cohérence nationale dans les formes de commémoration.
Avant de pouvoir rendre hommage aux Français morts pour la France, encore faut-il les identifier. Cette sous-galerie présente les initiatives engagées d’abord par le gouvernement pour recenser les étudiants et personnels des universités victimes de la guerre, puis celles menées par la faculté de droit de Paris elle-même afin de retrouver ces personnes et leur rendre hommage.
« [Circulaire sur la constitution des fichiers des déportés] », 4 décembre 1944
Source Archives nationales, AJ/16/7155
La première initiative d’ampleur nationale visant à établir une liste des personnes déportées et fusillées durant la guerre est lancée par le ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés en décembre 1944, alors même que les camps de concentration n’ont pas encore été libérés.
« [Circulaire du ministre de l’Éducation nationale sur les crimes de guerre] », 28 décembre 1944
Source Archives nationales, AJ/16/7154
Dans ce même contexte, le ministre de la Justice publie le 14 octobre 1944 une ordonnance annonçant la création d’un « Service des crimes de guerre des ennemis ». C’est à ce titre que le ministre de l’Éducation nationale, par cette présente circulaire, communique aux doyens des facultés la nécessité jugée de « la plus haute importance » de procéder à un recensement des exactions commises par l’ennemi, notamment en obtenant les témoignages des étudiants en ayant été victimes.
« [Circulaire du ministre de l’Éducation nationale sur les crimes de guerre] », 28 décembre 1944 (fin)
Source Archives nationales, AJ/16/7154
« [Réponse du doyen au recteur sur les crimes de guerre] », 24 mars 1945
Source Archives nationales, AJ/16/7154
Plusieurs mois après la demande initialement adressée par le ministre de l’Éducation nationale et laissée sans réponse, le doyen de la faculté de droit de Paris est à nouveau sollicité afin de communiquer d’éventuels crimes ou sévices ayant eu lieu dans l’enceinte de la faculté durant la guerre. Étonnamment, ce dernier répond succinctement par la voix de son secrétaire qu’il n’a aucune information à communiquer.
« [Circulaire du] ministre de l’Éducation nationale. Objet : participation à l’exposition internationale de New York », 25 septembre 1945
Source Archives nationales, AJ/16/7155
Après les tentatives inabouties de la fin d’année 1944, c’est finalement la préparation d’une exposition internationale aux États-Unis en janvier 1946 qui initie véritablement le travail d’identification des victimes de la guerre à la faculté de droit de Paris : à cette occasion, le ministre de l’Éducation nationale René Capitant demande à son administration de remplir une fiche de renseignements d’une grande précision visant à établir les pertes en vies humaines ainsi que les dommages matériels subis dans les différents ordres d’enseignement.
« [Circulaire du] ministre de l’Éducation nationale. Objet : participation à l’exposition internationale de New York », 25 septembre 1945 (suite)
Source Archives nationales, AJ/16/7155
« [Circulaire du] ministre de l’Éducation nationale. Objet : participation à l’exposition internationale de New York », 25 septembre 1945 (complément et fin)
Source Archives nationales, AJ/16/7155
« [Lettre du doyen de la faculté de droit au recteur de l’Académie de Paris au sujet d’une première liste de victimes du nazisme] », 26 octobre 1945
Source Archives nationales, AJ/16/7155
Le doyen de la faculté de droit de Paris ne disposant que d’un temps restreint pour établir la liste demandée par le ministre de l’Éducation nationale dans le document précédent, cette dernière se trouve donc être, de l’aveu du doyen, incomplète. Il indique toutefois avoir lancé des appels dans la presse et par radiodiffusion afin de permettre aux familles des victimes de communiquer le nom de leurs proches.
« [Lettre du doyen de la faculté de droit au recteur de l’Académie de Paris au sujet d’une première liste de victimes du nazisme : annexe] », 26 octobre 1945
Source Archives nationales, AJ/16/7155 Document numérisé consultable ici.
On retrouve en annexe de la lettre du doyen la liste des noms qui ont pu être recensés. À l’automne 1945, on ne dénombre alors qu’un seul professeur et trente-quatre étudiants morts pour la France, sans détails supplémentaires sur leur parcours. Le reste du document se limite à des extraits d’ordres militaires.
« Informations diverses », Le Monde, 30 octobre 1945
Source Bibliothèque de Sciences Po, avec l’aimable autorisation du journal Le MondeCette annonce parue dans le journal Le Monde fait partie de l’appel aux familles des étudiants morts pour la France mentionné par le doyen de la faculté de droit dans le document précédent. Le communiqué invite ainsi ces familles à fournir des informations précises sur les étudiants ainsi que sur les circonstances de leur décès. De nouveaux appels sont également lancés en 1947, 1949, et 1951.
« [Lettre de Jean Ramond à la faculté de droit au sujet de Pierre Geny] », 1er novembre 1945
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
La faculté de droit reçoit quelques réponses du fait des appels lancés dans la presse et par radio, bien que leur efficacité reste limitée. Dans ce document, la disparition de Pierre Geny est signalée par l’un de ses amis, Jean Ramond, qui mentionne l’appel publié dans le journal Le Monde.
« [Lettre de Nicole Cahen au secrétaire de la faculté de droit] », 13 novembre 1951
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le 10 novembre 1951, malgré le recensement incomplet des victimes, la faculté de droit de Paris inaugure une plaque commémorative de ses étudiants et professeurs morts pour la France. Certaines familles, apprenant l’évènement, demandent alors à ce que le nom de leur proche puisse être ajouté au monument. C’est le cas dans cette présente lettre de la famille d’André Cahen, ancien avocat déporté à Auschwitz.
« [Lettre de Nicole Cahen, fille de André Godchau Cahen, au secrétaire de la faculté de droit] », 13 novembre 1951 (fin)
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
« [Fiche de scolarité de Leibu Rabinovici avec mention d’Auschwitz] », S.D.
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le travail d’identification des victimes de la Seconde Guerre mondiale au sein de la faculté de droit de Paris est entrepris non seulement sur le plan mémoriel, mais également sur le plan administratif. Ainsi, les fiches de scolarité des étudiants et anciens étudiants de la faculté sont actualisées, y ajoutant la mention de leur décès (date et circonstances). C’est le cas pour la fiche de Leibu Rabinovici, décédé en déportation à Auschwitz en 1942.
« [Notice de livre d’or pour Gaston Weill] », S.D.
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
En 1952, la faculté initie un projet de livre d’or destiné à honorer la mémoire de ses étudiants morts pour la France. Sont alors transmises aux familles des victimes des fiches d’information à compléter, telle celle que l’on retrouve dans ce présent document. Il s’agit de la fiche de de Gaston Weill, ancien avocat, déporté à Auschwitz dans le même convoi que André Cahen. Ce projet se trouve finalement abandonné pour des raisons inconnues.
Après l’identification des victimes à honorer, l’étape suivante du travail mémoriel est celle des commémorations. Cette sous-galerie retrace les formes prises par ces hommages à l’échelle de l’université de Paris et, en son sein, de la faculté de droit. Discours prononcés, cérémonies organisées et plaques commémoratives installées témoignent des gestes publics portés par l’institution universitaire pour saluer la mémoire des étudiants et enseignants morts pour la France.
« [Lettre de] René Cassin à Monsieur le recteur », 23 janvier 1945
Source Archives nationales, F/17/27015
Après la libération de Paris, et alors que la guerre n’est pas finie, la première occasion de commémorer les victimes et les combattants, pour la faculté de droit de Paris, se tient le 22 janvier 1945 : la rentrée solennelle de l’université a été repoussée pour permettre la venue du général de Gaulle. Dans cette lettre adressée au recteur de l’académie de Paris, le professeur René Cassin, qui a assisté à la cérémonie, déplore que les résistants ayant accompagné le général à Londres n’aient pas été mentionnés, malgré la prise de parole du général lui-même. Il insiste dans sa lettre sur le fait que « l’histoire de la guerre doit être véridique et aussi complète que possible ».
« [Lettre de] René Cassin à Monsieur le recteur », 23 janvier 1945 (fin)
Source Archives nationales, F/17/27015
« [Déroulé de la cérémonie du 10 novembre 1945] », S.D.
Source Archives nationales, AJ/16/7155
La grande cérémonie de l’après-guerre de l’académie de Paris, rassemblant les trois ordres de l’enseignement pour rendre hommage aux élèves et enseignants morts pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale, a lieu le 10 novembre 1945 dans la cour de la Sorbonne. C’est à cette occasion qu’y est dévoilée une Dalle du souvenir. Ce document est un compte-rendu succinct de la cérémonie.
« [Déroulé de la cérémonie du 10 novembre 1945] », S.D. (fin)
Source Archives nationales, AJ/16/7155
Université de Paris, « Vue générale de la cérémonie [du 10 novembre 1945] », dans Cérémonie du 10 novembre 1945, à la Sorbonne à la Mémoire des Maîtres et des Élèves de l’Académie de Paris Morts pour la France et pour la Liberté, 1945
Source Archives nationales, AJ/16/7155
Cette photographie offre une vue générale de la cour d’honneur de la Sorbonne lors de la cérémonie du 10 novembre 1945. Elle donne une idée de l’ampleur de l’événement et de la gravité voulue par les organisateurs.
« Allocution de M. Jacques Bloch, Étudiant à la Faculté de Droit, déporté », dans Cérémonie du 10 novembre 1945, à la Sorbonne à la Mémoire des Maîtres et des Élèves de l’Académie de Paris Morts pour la France et pour la Liberté, 1945
Source Archives nationales, AJ/16/7155
Lors de la cérémonie du 10 novembre 1945, après les discours du représentant des professeurs du supérieur, de celui des professeurs du secondaire, puis du représentant des instituteurs, c’est au tour des étudiants et lycéens d’avoir la parole. Jacques Bloch, étudiant de la faculté de droit, résistant, déporté, parle en leur nom. Son discours est reproduit ici. Il y insiste sur l’importance de se souvenir et de rendre hommage aux morts, en évoquant les victimes de la campagne de 1939‑1940, puis les prisonniers et les déportés politiques.
« Circulaire du recteur par l’inspecteur général Ch. Pugibet à Mesdames les directrices et Messieurs les proviseurs des lycées de la Seine », 8 novembre 1946
Source Archives nationales, AJ/16/7155
Prolongeant le souvenir et l’hommage aux résistants parisiens des trois ordres de l’enseignement, décision est prise en 1946 d’enterrer douze corps d’élèves et d’enseignants morts pour la France dans la crypte de la Sorbonne. Parmi eux, celui de Jean Gay, étudiant de la faculté de droit de Paris de 21 ans, fusillé à la cascade du bois de Boulogne. Cette circulaire du recteur de l’université de Paris transmet aux chefs d’établissements (y compris les doyens) les consignes en vue de la cérémonie d’inhumation qui a lieu le 12 novembre 1946.
Note concernant la cérémonie du 10 novembre, novembre 1951
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le temps d’identifier les noms à commémorer, même de manière non-exhaustive, de rassembler le budget pour réaliser la plaque, et de faire faire la plaque, ce n’est que six ans après la fin de la guerre, le 10 novembre 1951, que la faculté de droit de Paris finit par organiser sa cérémonie d’hommage à ses étudiants et anciens étudiants morts pour la France durant la Seconde Guerre mondiale, avec dévoilement de la plaque (toujours visible dans le hall Saint-Jacques de la faculté). Le document présenté ici revient sur le déroulé prévu pour cette cérémonie. Le président de la République, Vincent Auriol, ainsi que le ministre de l’Éducation nationale, doivent y assister.
« [Discours des étudiants à la cérémonie d’inauguration des plaques commémoratives] », 10 novembre 1951
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le représentant des étudiants est le premier à prononcer son discours à la cérémonie du 10 novembre 1951. Ancien combattant lui-même, il rend hommage aux militaires et résistants de la faculté de droit de Paris, mais ne mentionne pas les autres victimes.
« [Discours des étudiants à la cérémonie d’inauguration des plaques commémoratives] », 10 novembre 1951 (fin)
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
« [Discours du doyen Julliot de La Morandière à la cérémonie d’inauguration des plaques commémoratives] », 10 novembre 1951
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Document numérisé consultable ici.
Par ce long discours, le doyen Julliot de La Morandière commémore la mémoire des anciens étudiants de la faculté morts lors de la Seconde Guerre Mondiale. Sont notamment mentionnés, parmi plusieurs figures, ceux devenus professeurs et morts au combat en 1940. Un hommage est également rendu aux résistants et plus généralement aux combattants issus de la faculté. En revanche, les victimes de la législation antisémite sont absentes de son discours, à l’exception d’une rapide évocation de « révoltantes lois raciales ». Ainsi, lorsqu’il est fait mention du nom de François Lyon-Caen, la cause de sa déportation n’est pas rappelée, laissant le trouble sur les raisons qui l’ont conduit à être déporté à Auschwitz en 1943.
« [Invitation à la cérémonie d’inauguration des plaques commémoratives à l’adresse de Madame et Monsieur Mayer] », 1951
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Malgré les omissions du discours du doyen, les familles des anciens étudiants déportés identifiés par la faculté sont bien invitées à la cérémonie d’inauguration des plaques commémoratives. On retrouve dans le présent document l’invitation adressée à la famille de Louise Mayer, déportée à Auschwitz en 1943. Le fait que cette invitation soit adressée aux deux parents de Louise Mayer alors même que son père est depuis longtemps décédé témoigne par ailleurs des limites des recherches opérées par la faculté.
« [Enveloppe d’invitation à la cérémonie d’inauguration des plaques commémoratives à l’adresse de Madame et Monsieur Mossé] », 1951
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Une invitation est également envoyée à la famille de Alain Mossé, déporté à Auschwitz en 1944. L’invitation ne parvient toutefois jamais à ses destinataires : le présent document indique en effet qu’ils sont « parti[s] sans laisser d’adresse ».
À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les familles des déportés se trouvent dans une situation particulière. En effet, elles rencontrent des difficultés concernant l’identification de leurs proches ainsi que la commémoration de leur mémoire. Pourtant, la spécificité de cette situation n’est que peu prise en compte par la faculté de droit de Paris à l’égard des familles de ses anciens étudiants déportés, victimes de la législation antisémite. C’est sur ces aspects que la présente sous-galerie a vocation à revenir.
« [Réponse de la Fédération nationale des centres d’entr’aide des internés politiques et déportés politiques à Gaston Bloch] », 26 octobre 1945
Source Mémorial de la Shoah / Coll. Etienne Bloch, CMLXXV (103)-6
Les familles des déportés font face à de nombreux obstacles, d’abord pour obtenir des informations concernant le sort même des déportés, puis pour la prise en compte de leur disparition par l’administration comme par la faculté. C’est dans ce contexte que Gaston Bloch tente d’obtenir des nouvelles de sa femme Nelly ainsi que de sa fille après des premières tentatives infructueuses. À la suite de la libération des camps, des institutions et associations se mettent en place afin d’aider les familles dans leurs recherches. Gaston Bloch s’adresse dans la présente lettre à l’une d’entre elles, l’Amicale d’Auschwitz. Cette dernière ne peut que lui confirmer qu’il n’existe sans doute aucun espoir que sa famille revienne des camps.
« [Fiche de renseignements sur Louise Mayer] », Fonds Notre-Dame de Sion, S.D.
Source Mémorial de la Shoah, Paris (France), DI-243
La famille de Louise Mayer s’adresse à une autre institution pour obtenir des renseignements à son propos : la congrégation Notre Dame de Sion, qui a œuvré tout au long de la guerre pour sauver des juifs de la déportation et qui demeure active après la libération des camps en soutien aux familles. Cette dernière établit la présente fiche grâce aux renseignements transmis par la famille de Louise Mayer. Il y est notamment fait mention d’un renseignement non-confirmé d’une liste de déportés établie à Weimar, témoignage du flou qui entoure la situation des déportés alors même que la guerre a pris fin.
« [Acte de décès de Robert André Brunschwig] », 16 décembre 1946
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Une fois que les familles sont parvenues à obtenir la confirmation de la disparition de leurs proches, elles doivent entreprendre de longues démarches administratives afin que leur décès soit civilement constaté. Le présent document constitue ainsi l’acte de décès de Robert André Brunschwig, établi en décembre 1946.
« [Demande de régularisation de Volico Leizerovschi] », 29 septembre 1949
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
La prise en compte administrative de la mort en déportation peut avoir des conséquences matérielles, elle constitue aussi pour les proches une reconnaissance de la personne et de ce qu’elle a subi. Étant l’un des seuls survivants de sa famille, le cousin germain de Volico Leizerowski entreprend ainsi des démarches afin que le décès de ce dernier soit civilement reconnu, procédure longue et compliquée s’appliquant à quelqu’un que l’administration catégorise comme un « non-rentré ». Ce présent document, établi à l’automne 1949, ne constitue encore qu’une des étapes préliminaires à la régularisation de l’état civil.
« [Demande de régularisation de Volico Leizerovschi] », 29 septembre 1949 (fin)
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
« [Note de la faculté en prévision d’un livre d’or mentionnant Pierre Masse] », S.D.
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Le projet d’élaboration d’un livre d’or en 1952 est l’occasion pour la faculté de droit de Paris de tenter d’identifier d’anciens étudiants qui n’avaient pas été recensés auparavant. Ainsi, par exemple, le nom de Pierre Masse, célèbre avocat du barreau de Paris ayant notoirement côtoyé les bancs de la faculté, déporté en 1942, est remonté à l’administration, comme le montre cette note. Son dossier de scolarité n’est toutefois pas retrouvé et malgré l’évidence, son nom n’est pas ajouté à la plaque commémorative des anciens étudiants et professeurs de la faculté morts pour la France.
« [Note de la faculté en prévision d’un livre d’or mentionnant Henriette Lipschitz] », S.D.
Source Archives Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Contrairement à celui de Pierre Masse, le dossier de Henriette Lipschitz Kahn, ancienne étudiante de la faculté de droit de Paris déportée à Auschwitz, est lui bien retrouvé dans le cadre de la préparation du projet de livre d’or. Malgré la mention présente sur cette note « ajouter sur la plaque 39‑45 », son nom n’est pourtant jamais inscrit sur le monument et vient se ranger parmi les « oublis » de la faculté.