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Entre contrainte et adhésion : la faculté de droit, Vichy et l’occupant
Le régime de Vichy, qui met fin à la République par ses actes constitutionnels à partir du 11 juillet 1940, est soutenu par un grand nombre de professeurs, dont plusieurs occupent des fonctions ministérielles ou administratives. La faculté continue à fonctionner dans un contexte marqué par les contraintes de la guerre et par la surveillance des autorités d’occupation. La participation d’étudiants en droit à la manifestation du 11 novembre 1940 conduit les autorités rectorales à mettre en garde contre toute expression d’hostilité aux Allemands. Plusieurs incidents, impliquant des professeurs ayant laissé apparaître leurs critiques de l’occupant, sont révélateurs de la diversité des attitudes.
Sommaire
- Cadre légal et institutionnel
- Application de la législation antisémite
- Paris – Vichy – Paris
- La faculté entre continuité et réformes
- Une faculté sous surveillance
- Des étudiants entre adhésion et résistance
- Le cas des étudiants et professeurs prisonniers de guerre
- Le cas Gidel
Cadre légal et institutionnel
Le régime de Vichy institut rapidement un nouveau cadre légal qui impacte les institutions et évidemment le fonctionnement de la faculté de droit.


Le 11 juillet 1940, les trois principaux actes constitutionnels du nouveau régime sont pris. Pétain est institué chef de l’État et cumule les pouvoirs législatifs et exécutifs, l’Assemblée nationale et le Sénat étant « ajournés jusqu’à nouvel ordre ».


Le 12 juillet 1940, Pétain nomme son gouvernement. Émile Mireaux devient, pour un mois, Ministre secrétaire d’État à l’instruction publique, à qui succède George Ripert, en tant que secrétaire d’État à l’Instruction publique, pour quatre mois. Leurs successeurs seront eux aussi soit ministre soit secrétaires d’État. Ce sont Jacques Chevalier (pour deux mois et demi) puis Jérôme Carcopino (février 1941- avril 1942), et enfin Abel Bonnard, qui reste en poste jusqu’à la fin du régime.

Gustave Roussy, nommé recteur de l’académie de Paris en 1937, est démis de ses fonctions par le gouvernement de Vichy en novembre 1940. Jérôme Carcopino lui succède, puis Paul Hazard (pour deux mois) et Charles Maurain (mars-septembre 1941). Le dernier recteur sous l’occupation est Gilbert Gidel.

Les élections dans l’enseignement supérieur sont suspendues en décembre 1940. Doyen de la Faculté de droit de Paris depuis 1937, George Ripert le reste jusqu’à la fin de la guerre.
Application de la législation antisémite et d’exclusion
Le régime de Vichy a pris, tout au long de son existence et notamment lors de ses deux premières années, une série de lois antisémites et d’exclusions. Le fonctionnement de la faculté de droit n’échappe pas à ce cadre légal, dont l’application est mise en œuvre.

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La version initiale du premier statut des Juifs ne mentionnait pas les enseignants, mais Pétain lui-même les ajoute à la liste des fonctions publiques interdites aux Juifs.



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La circulaire d’application de la loi du 3 octobre 1940 pour l’enseignement est signée par G. Ripert, alors secrétaire d’État à l’Instruction publique.

Une circulaire complémentaire, émise par le successeur de G. Ripert, indique que les enseignants concernés par la loi d’exclusion du 3 octobre sont exclus de leurs fonctions pour le 19 décembre 1940.

En juillet 1940, une nouvelle loi exclu également les fils d’étrangers de la fonction publique.

La loi d’août 1940 qui interdit les associations secrètes défend spécifiquement aux fonctionnaires d’être affiliés à l’une d’elles dans son article 5.


En 1940, une loi permet à l’administration de relever n’importe quel fonctionnaire de ses fonctions, par simple décret.

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Cette circulaire, émise par G. Ripert, met en application la loi du 13 août 1940, interdisant les sociétés secrètes, pour l’enseignement.

Également signée par G. Ripert, cette circulaire met en application pour l’enseignement la loi du 17 juillet 1940 permettant à l’administration de relever de ses fonction n’importe quel fonctionnaire.

La faculté de droit applique la nouvelle législation, sans que celle-ci ne suscite de réaction. La date des arrêtés les relevant de leurs fonctions indiquée dans le document est erronée, ils ont été émis le 16 juin 1941. Ces arrêtés avaient un effet rétroactifs et les trois professeurs cités n’étaient en fait pas revenus à la faculté depuis octobre 1940. René Cassin, révoqué dès le 2 septembre après avoir rejoint le général de Gaulle, et Roger Picard, qui n’est plus en France, ne sont pas cités.

Suite à la parution du second statut des Juifs, l’administration demande un nouveau point à la faculté sur ses personnels. Le doyen de la faculté de droit G. Ripert y répond en signalant deux personnes qui ne l’avaient pas été auparavant, MM. Picard et Bassa.

R. Picard ayant été suspendu pendant deux ans, ce n’est qu’ensuite, soit en 1942, que le statut des Juifs lui est appliqué. G. Ripert le signale donc au recteur, mais note que le professeur ne s’est pas représenté à la faculté depuis la fin de sa suspension.

La nouvelle législation impacte également les étudiants : un numerus clausus est instauré sur le nombre d’étudiants juifs autorisés dans les universités.

Comme pour les exclusions des professeurs, la loi instaurant un numerus clausus pour les étudiants juifs n’amène pas de réaction particulière de la part de la faculté. Une Commission chargée de statuer sur leur inscription est désignée. Il est cependant noté que la mesure n’impacte pas la faculté, le nombre limite n’étant pas atteint.
Paris – Vichy – Paris

Georges Ripert, doyen de la faculté de droit de Paris depuis 1938, interrompt ses fonctions en septembre 1940 pour rejoindre le gouvernement de Vichy en tant que secrétaire d’État à l’Instruction publique et à la Jeunesse dans le premier cabinet Laval jusqu’en décembre 1940. Il reste ensuite à Vichy jusqu’en février 1941. Comme on le voit dans cet article, il reprend la rhétorique de Vichy en se disant animé par la volonté de « remettre de l’ordre dans l’Université » et d’en exclure la politique. Georges Ripert participe activement à la mise en œuvre des mesures édictées par le régime de Vichy au sein du monde universitaire.

Joseph Barthélemy, professeur de droit constitutionnel à la faculté de droit de Paris, exerce les fonctions de garde des Sceaux sous le régime de Vichy de janvier 1941 à mars 1943, avant de réintégrer la faculté à la rentrée de 1943. Il est notamment signataire du second statut des juifs ainsi que de la loi du 14 août 1941 instaurant les sections spéciales chargées de la répression contre les résistants. Il consacre ses Mémoires, publiés à titre posthume, à cette période.

Ce document inédit de la Fondation Rockefeller révèle que, bien qu’il ne fasse plus partie de l’administration de la faculté de droit, Joseph Barthélemy semble avoir conservé, durant son mandat de ministre de la Justice sous le régime de Vichy, des liens personnels avec certains professeurs atteints par la législation antisémite. Il déclare ainsi à l’émissaire de la fondation, A. Makinsky, être intervenu en faveur de Roger Picard pour l’obtention de ses visas et autorisation de sortie, et signale le cas de William Oualid, demandant si une exfiltration de ce dernier vers les États-Unis est possible.

Deux autres professeurs remplissent des fonctions ministérielles à Vichy. Joseph Hamel, professeur de droit privé à la faculté de droit de Paris, suit son doyen Georges Ripert à Vichy, où il occupe le poste de directeur de cabinet de ce dernier de septembre à décembre 1940.

Maurice Grandclaude, professeur d’histoire du droit à la faculté de droit de Paris, est chargé de mission auprès du cabinet de Jacques Chevalier, successeur de Georges Ripert au secrétariat d’État à l’Instruction publique. Sa nomination illustre la continuité de l’implication de certains membres de la faculté dans les structures du régime de Vichy, y compris après le départ de Ripert.

Sur un autre niveau, d’autres professeurs sont impliqués dans les institutions publiques de Vichy. Achille Mestre, membre du Conseil national chargé de la rédaction de la nouvelle Constitution et conseiller juridique auprès du ministère de la Jeunesse et de la Famille, s’exprime dans une interview au Petit Parisien en reprenant des éléments de langage conformes à l’idéologie de Vichy. Déjà familier de l’Allemagne depuis le début du XXe siècle, il séjourne à Berlin au printemps 1942, où il rencontre Wilhelm Stuckart, l’un des principaux juristes du régime nazi.


François Perroux, éminent professeur d’économie à la faculté de droit de Paris, est nommé, le 15 mai 1941, membre du Conseil d’études économiques du régime de Vichy par le maréchal Pétain. Sa nomination témoigne de l’engagement, au-delà des seuls juristes, des professeurs de la faculté de droit de Paris dans les structures de l’État vichyste.

Autre professeur François Olivier-Martin, professeur d’histoire du droit à la faculté de droit de Paris, joue un rôle actif sous Vichy : conseiller et magistrat instructeur auprès de la Cour suprême de justice, dite Cour de Riom. Il dispense par ailleurs des cours à l’Institut d’études corporatives et sociales, un organisme placé sous l’autorité directe du maréchal Pétain, illustrant son adhésion aux idées de Vichy.

René Maunier, professeur de législation, d’économie et de sociologie coloniales à la faculté de droit de Paris, enseigne également la sociologie coloniale à l’Institut d’anthropo-sociologie, une institution marquée par la promotion de la prétendue « race française » et créée avec le soutien du Commissariat général aux questions juives. En juin 1942, il participe par ailleurs à un congrès d’ethnologie en Allemagne, organisé sous l’égide du Reichsforschungsrat.
La faculté entre continuité et réformes

En dépit du contexte de guerre et de l’implication de plusieurs professeurs dans le gouvernement de Vichy, la faculté de droit de Paris continue de fonctionner presque normalement pendant toute la période : les cours se poursuivent quasiment sans interruption et la vie universitaire semble, dans une large mesure, se dérouler à l’écart des bouleversements extérieurs.

Les cours reprennent à la faculté de droit de Paris le 14 octobre 1940, soit peu après la promulgation des lois antisémites par le régime de Vichy. Il s’agit de la première rentrée universitaire depuis l’instauration de ce nouvel ordre politique. Cette reprise marque une forme de continuité dans la vie universitaire, malgré le contexte profondément bouleversé, et constitue un moment charnière, révélateur à la fois d’adaptations et de tensions au sein de l’institution.

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La tradition de la distribution des prix aux lauréats des concours de licence et de thèse se maintient pendant toute la période de guerre. À cette occasion, le doyen Georges Ripert prononce un discours s’inscrivant dans la perspective vichyiste. Toutefois, on peut observer que l’enthousiasme initial envers ce dernier laisse progressivement place, au fil des années et des discours, à une tonalité plus réservée.

Cette photo, prise en février 1941, témoigne de la continuité des cours à la faculté de droit malgré le contexte de guerre. La présence d’étudiantes y est notable et reflète l’augmentation significative des femmes depuis l’entre-deux-guerres.

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Autre élément témoignant de la continuité de la vie de la faculté de droit pendant la guerre, l’annexe au rapport annuel du doyen pour l’année universitaire 1942-1943 révèle une hausse du nombre d’étudiants inscrits, dépassant même les effectifs d’avant-guerre, malgré une baisse initiale au début du conflit. Cette augmentation peut cependant s’expliquer en partie par le fait que certains étudiants s’inscrivent pour échapper au Service du travail obligatoire (STO).

La bibliothèque de la faculté de droit continue elle aussi à fonctionner pendant toute la période. Comme les deux photographies précédentes de cette sous-galerie, ce cliché est l’oeuvre d’André Zucca, alors photographe pour Signal, le magazine de propagande nazie en France.

C’est avant tout dans une logique de réorganisation administrative des études de droit que s’inscrit la loi du 30 octobre 1940, qui introduit une réforme majeure destinée à durer : l’instauration des conférence et travaux pratiques obligatoires pour les étudiants. Cette mesure vise à remédier au manque d’assiduité constaté depuis des décennies. Georges Ripert, alors secrétaire d’État à l’Instruction publique, saisit l’occasion pour faire passer une disposition qu’il considère nécessaire au bon fonctionnement interne de la faculté, sans ambition politique directe.

Au sein de l’administration de la faculté de droit, les discussions sur de possibles réformes se poursuivent malgré les circonstances exceptionnelles de la guerre. C’est dans ce contexte que sont engagées en avril 1942 des réflexions sur une réorganisation en profondeur du fonctionnement des études de capacité.
Une faculté sous surveillance

Même si, comme vu dans la sous-galerie précédente, la faculté de droit parvinet à maintenir une continuité de fonctionnement, elle ne peut faire abstraction du contexte général de guerre, et notamment du poids de la surveillance exercée à la fois par le régime de Vichy et par les autorités d’occupation. Dans ce document, le professeur Niboyet s’interroge ainsi sur l’éventualité d’une censure préalable à la publication de son cours, et ce, avant même la rentrée officielle de 1940. Bien que l’assesseur du doyen Gilbert Gidel précise qu’aucune demande en ce sens n’a encore été formulée par l’occupant, il apparaît que les professeurs pratiquent déjà une forme d’autocensure.

Suite aux manifestations étudiantes et lycéennes du 11 novembre 1940, les écoles supérieures et les facultés sont fermées par les autorités d’occupation pendant quelques semaines en représailles. Autre conséquence, présentée dans ce document, les mesures de police prise par l’occupant. Ici donc, un échange officiel entre autorités allemandes, relatif à l’arrestation massive de plus d’un millier d’étudiants et de lycéens le 21 novembre 1940 : elles espèrent que cet exemple permettra de prévenir et réprimer toute tentative future de mobilisation.


Afin d’éviter la répétition des événements survenus l’année précédente, le recteur Gilbert Gidel appelle à un recueillement empreint de calme et de prudence à l’occasion de la commémoration du 11 novembre 1941. Cet affichage apparaît dans les différentes facultés de l’Université de Paris durant cette période.

L’une des affaires les plus marquantes ayant touché la faculté de droit de Paris à cette époque est celle du professeur Jules Basdevant. Enseignant à la fois à la faculté de droit de Paris et à l’École libre des sciences politiques, il occupe également les fonctions de jurisconsulte auprès du ministère des Affaires étrangères depuis 1930. Le document présenté ici est sa lettre de démission de ses fonctions de jurisconsulte adressée au maréchal Pétain le 29 mai 1941, dans laquelle il exprime ses griefs envers le régime de Vichy, portant sur le concours trop important apporté à l’autorité occupante.


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L’affaire Basdevant prend un nouveau tournant avec la publication de sa lettre de démission à la fois par la résistance et dans des journaux favorables au régime de Vichy cherchant à le discréditer publiquement. Cette dénonciation attire l’attention des autorités occupantes sur le professeur et la faculté de droit. La méfiance à son égard s’accentue lors de la rentrée universitaire de 1941, à l’occasion de son premier cours, auquel assiste un informateur des autorités allemandes. Dans son introduction, Basdevant aurait formulé des critiques jugées imprudentes à l’encontre de l’application du droit des gens par l’occupant. Par conséquent, Gilbert Gidel est convoqué pour la première fois par le général commandant des forces militaires d’occupation en France le 15 décembre 1941. Au cours de cet échange, le général insiste sur la nécessité pour les étudiants de la faculté d’adopter une attitude de stricte réserve pendant cette période.

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Les propos anti-vichyiste du professeur Jules Basdevant attirent l’attention de l’autorité occupante et mènent non seulement à la convocation de Gilbert Gidel comme on le voit dans le document précèdent, mais surtout à l’ouverture d’une enquête à son sujet et son éloignement à Lyon par la suite.

Dernier exemple de surveillance de la faculté, le doyen Georges Ripert est convoqué par la Gestapo le 26 novembre 1943, à la suite d’un incident survenu pendant le cours du 11 novembre du professeur Raymond Monier, signalé par un informateur de la police française collaborant avec les autorités occupantes.
Des étudiants entre adhésion et résistance

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Le cas des étudiants et professeurs prisonniers de guerre


















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Le cas Gidel



